Strontium

Strontium
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Le strontium est probablement le plus controversé des éléments de l’eau de mer dans son utilisation en aquarium récifal. Il est présent, de manière non négligeable mais conserve de nombreux secrets. Où en sont les avis sur son intérêt, ses effets sur les habitants de l’aquarium, s’il est nécessaire d’en rajouter ? Cet article propose de faire un point.

Dans les océans

Aspects chimiques

L’eau de mer naturelle contient 8 mg/l d’ion strontium Sr2+. Ce métal alcalino-terreux est le cinquième élément le plus abondant en masse, dans la composition de l’eau de mer, après le sodium, le magnésium, le calcium et le potassium. La majeure partie du strontium est présente sous forme d’ions libres, seules des molécules d’eau y sont attachées. Chimiquement très proche du calcium (Ca2+) et du magnésium (Mg2+) avec deux ions, il diffère par sa taille et sa masse plus importantes, d’où une moindre solubilité de certains sels de strontium. Le carbonate de strontium (strontianite SrCO3 ) est moins soluble que le carbonate de calcium CaCO3 , qui à son tour est moins soluble que le carbonate de magnésium MgCO3 .

Une petite partie, environ 10 % du strontium, se présente sous forme de paire d’ions solubles avec du sulfate SrSO4 , la célestite, et des portions beaucoup plus petites sont associées à du bicarbonate SrHCO3+ carbonate SrCO3, fluorure SrF+, borate SrB(OH)4+ et l’hydroxyde SrOH.

Aspects biochimiques

Strontium dans la biominéralisation du squelette corallien

On le trouve du strontium en faible proportion dans le squelette des coraux, environ 100 à 120 fois moins que le calcium. La moindre solubilité du strontium par rapport au calcium est probablement liée au fait que le strontium pénètre dans les squelettes des coraux et des organismes en général. Sur de nombreux points il se substitue au calcium dans le processus de biominéralisation durant la croissance du corail,de la même manière qu’il le fait sur les os humains, avec des effets similaires.

Les investigations sur le strontium sont facilement perturbées par son comportement similaire au calcium. Il semble jouer un rôle  dans l’acheminement du calcium vers les cellules ectodermiques. Il contribuerait à maintenir une concentration de calcium artificiellement élevée près de la surface des cellules ectodermiques. Il aurait un rôle dans le transport actif du calcium transmembranaire sans certitude..On a mesuré récemment sa contribution dans la matrice organique dans laquelle il structure l’orientation et la densité des cristaux d’aragonite naissants. Contrairement aux idées initialement émises, il n’améliore pas la vitesse de calcification. Celle-ci diminuerait au profit d’une plus grande densité et solidité. Le strontium améliore la calcification par le calcium. Il s’y substitue partiellement mais ne peut le remplacer. Finalement l’absorption du Sr suit le même schéma que celui du calcium. Ils utilisent les mêmes voies : tous deux inhibés par les mêmes molécules organiques qui bloquent certains transporteurs de protéines.

La construction du squelette dépend donc de processus biologiques complexes qui influent sur la composition du fluide calcifiant, d’où l’hétérogénéité du taux de Sr selon les espèces, et un ratio Ca/Sr variable. La température n’est donc pas le facteur unique responsable de l’hétérogénéité du squelette corallien.

Le strontium, marqueur de la température des océans ?
La température n’est pas le seul facteur responsable de l’hétérogénéité du squelette corallien qui dépend aussi de processus métaboliques.  Ceci rajoute aux incertitudes des paléontologues qui utilisent le strontium composant le squelette du corail comme indicateur écologique de référence pour analyser l’évolution de la température des océans.

Strontium dans le monde animal

De nombreux organismes utilisent du strontium dès lors qu’ils bio minéralisent un élément. Les acanthaires, micro-organismes planctoniques consomment du sulfate de strontium pour leurs épines. A leur mort ils coulent dans les couches sédimentaires profondes. Leur remise en solution reconstitue une partie importante du strontium dans les océans. Les radiolaires, protozoaires du zooplancton produisent une capsule. On peut citer les coquilles des mollusques (bivalves, gastéropodes…), l’os interne des céphalopodes (os de seiche), le squelette des poissons, l’exosquelette des coraux scléractiniaires… Les algues calcaire (corallines) métabolisent le strontium, certaines algues vertes aussi, parfois plus que le calcium, qu’il est question d’exploiter pour le traitement de déchets radioctifs.

En aquarium marin et récifal

Le tableau qui suit résume l’essentiel des paramètres relatifs au strontium, à suivre en aquariophilie récifale. Ils seront détaillés après.

Tableau 1 : Le strontium en aquarium récifal
Taux Normal : 8 mg/l
Carence Excès
Sr < 6 mg/l Sr > 15 mg/l
Bio indicateurs
  • Perte de couleur, notamment le bleu.
  • Perte de croissance, notamment algues corallines, scléractiniaires (SPS)
  • Squelette SPS fragile, notamment ceux à forte croissance (Montipora…)
  • Potentiellement toxique au delà de 15 mg/l sur larves d’invertébrés (crabes…)
Causes
  • Sel synthétique sous dosés Sr.
  • Déséquilibre dans la consommation du vivant.
  • Substrat RAC (ARM, bris de coraux) faiblement dosé.
  • Emploi de carbonate de calcium synthétique (cacialith…).
  • Assimilation par les
    organismes marins.
  • Coprécipitation avec le calcium.
  • Elimination via des matières organiques.
  • Sels trop riches en Sr
  • Suppléments pour calcium : ARM, hydroxyde de calcium, compositions commerciales avec impuretés.
  • Dissolution du sable d’aragonite. 
  • Nourriture pour poissons avec faible impact.
  • Consommation du vivant déséquilibre (algues, coraux.
Actions Remonter  le taux

  • Solutions du
    commerce
  • Solution de chlorure de strontium décrite ci-après.
Réduire le taux

  • Laisser descendre naturellement si écart faible 
  • Changement d’eau partiel. 

Production de strontium en aquarium

Dosé
en laboratoire, on a pu constater que le taux de strontium est parfois maintenu sans ajout volontaire, signe qu’il y a des apports par ailleurs. Parmi les sources, on peut citer :

  • Certains sels riches en Sr de 9 à 18 ppm, utilisés pour produire l’eau de mer destinée aux changements d’eau ou les remises à niveau.
  • Beaucoup de suppléments pour calcium contiennent du strontium. Cela peut être le cas des aragonites sédimentaires de type ARM, potentiellement de l’hydroxyde de calcium ou intentionnellement ajouté par les fabricants dans leur solutions.
  • La  nourriture pour poissons contient souvent du strontium mais, semble-t-il, pas assez pour avoir un impact significatif.
  • Les algues métabolisent du Sr et du Ca dans un ratio différent des coraux. Leur développement peut justifier de déséquilibres.
  • Le processus de fabrication de l’hydroxyde de calcium utilisé dans un réacteur RAH peut comporter du strontium résiduel.

Consommations de strontium en aquarium marin

On a pu constater que le taux de strontium pouvait régresser
à un niveau proche de zéro en six mois. Le taux
peut tout aussi rester stable compensé par les apports ci-dessus mais de manière non exhaustive tant les possibilités sont nombreuses. Parmi les sources de consommation, on peut citer

  • Les sels synthétiques s’avèrent jamais déficients en strontium. Les bons sels actuels sont centrés
    sur la valeur de l’eau de mer, en moyenne 8 mg/l de Sr dans une plage de 7 à 12 mg/l.
  • L’irrégularité du pourcentage de Sr dans les squelettes ainsi que le ratio Ca/Sr peut être un facteur déstabilisant quand il est employé sous forme aragonite issue de carrières sédimentaires (ARM) comme substrat de réacteur à calcaire.
  • Une étude, a mesuré un ratio Sr/Ca extrêmement faible dans des bris de coraux substrat de réacteur à calcaire. Ce n’est donc la garantie absolue d’injecter exactement le taux correspondant à la calcification. Mais la consommation de Sr n’étant pas proportionnelle, et inférieure, à celle du calcium, un calcul montre qu’il peut rester suffisant dans ces situations. Une carence n’est cependant pas impossible.
  • Le risque de carence est évident lorsqu’on utilise du carbonate de calcium synthétique (cacialith…).
  • Assimilation par les
    organismes
    marins.
  • Coprécipitation avec le calcium, dans les organismes et lors de la précipitation abiotique (non biologique) du carbonate de calcium.
  • Elimination, le strontium étant lié à des matières organiques.

Toxicité du strontium

Peu d’études ont abordé la toxicité du strontium à taux élevé. Les invertébrés sont sensibles à des taux importants, de 300 à plus de 1000 ppm. Il en va autrement pour des larves, de crabes en l’occurrence, qui décèdent rapidement à 30 ppm. Ce taux est déjà bien trop élevé pour espérer un minimum de biodiversité dans l’aquarium. Il n’existe apparemment pas de risque aux niveaux pouvant être atteints dans un aquarium récifal. Pas de signe visuel jusqu’à 15 mg/l selon des témoignages.

Rajouter du strontium ou pas

Tout comme les autres constituants majeurs de l’eau de mer, on imagine mal
que cet élément puisse être ignoré par les récifalistes
amateurs de coraux hermatypiques. On sait expérimentalement que le taux de strontium dans le squelette augmente assez linéairement avec celui de l’eau de l’aquarium, ce jusqu’à des taux très importants de l’ordre de 300 mg/l. Mais rien ne dit ce qui est le mieux pour le corail.

Des témoignages font état de pertes de coraux, du fait de l’appauvrissement en Sr, par ailleurs facilement maintenus dans des conditions normales. Certains aquariophiles ont pu constater des
effets bénéfiques sur la croissance et la densification
du squelette d’Acropora et de coraux à croissance rapide tels que Montipora.

De nombreux retours d’expérience datent d’une époque, sans possibilité de réaliser un bilan chimique, on ne peut pas juger si l’ajout était réellement nécessaire, ou pas. Aujourd’hui, on sait mesurer avec précision ce paramètre, et si on établit une analogie avec les effets du strontium dans le renforcement du squelette humain, il semblerait assez logique de le maintenir à taux naturel.

Il est fait état d’un impact sur la couleur, notamment le bleu qui perd en intensité.

Mesurer le taux de strontium

  1. Les tests colorimétriques aquariophiles existent (Seachem, Salifert…),
    malheureusement leur utilisation est assez longue, complexe et l’erreur fréquente.
    Il est nécessaire de réaliser plusieurs déterminations
    à blanc pour mieux évaluer le moment du virage des couleurs. De
    toutes façons, leur incertitude reste importante et les résultats
    peu significatifs.
  2. Privilégier une analyse ICP laquelle détecte très facilement les ions Sr jusqu’à environ 2 µg/l.
  3. On peut évaluer la consommation de Sr d’un aquarium essentiellement composé de SPS en se basant sur celle en carbonates KH ou calcium Ca des Acropora (32,5 g de Sr pour 1000 g de Ca). Il suffit d’arrêter la supplémentation en carbonates et calcium (RAC, balling…) durant 1 ou deux jours puis de mesurer la chute journalière de KH ou Ca. En effet, pour ce genre de corail les consommations de Ca, KH et Sr sont proportionnelles. Une chute de 1 dKH représente une consommation de 7 mg/l de Ca et 0,13 mg/l de Sr, soit 0.39 mg/l de chlorure de strontium hexahydraté.
    Il faut considérer cette troisième méthode comme une alternative approximative à usage ponctuel. La consommation réelle peut s’en écarter quelque peu selon la population hébergée.

Ajuster le taux de strontium

En l’absence de tout savoir sur les effets du strontium, positifs ou préjudiciables aux organismes marins, la recommandation est de maintenir le strontium à un niveau proche du milieu naturel 8 mg/l et dans une marge de 6 à 15 mg/l. D’autant plus que certains organismes en nécessitent. Mais aussi de ne pas en ajouter sans connaissance du niveau actuel.

Le tableau 1 précise les conditions et les risques d’une dérive ainsi que les actions à mener si besoin.

Que ce soit pour un complément ponctuel ou une supplémentation régulière, on ajuste le taux de strontium

  • à partir de solutions commerciales. On évitera les kits multi composants qui apportent des éléments dont l’aquarium n’a pas besoin, tout autant les produits qui ne précisent rien du contenu pas même des principes actifs.
  • avec une solution de chlorure de strontium hexahydrate SrCl2 6H2O disponible dans certains commerces aquariophiles (Tridacna…). Le Calculateur Strontium précise les modalités de préparation et de dosage.

Remonter ponctuellement le strontium

Ajuster le dosage suivant la notice commerciale du produit, ou avec du chlorure de strontium en suivant les recommandations du Calculateur Strontium.

Supplémenter régulièrement le strontium

On l’a compris, la quantité de magnésium à fournir dans un aquarium ne dépend pas exactement de celle du calcium, mais des organismes hébergés en densité, espèces. Elle peut rester stable, décliner ou augmenter au fil du temps. Les tests donnent la conduite à tenir pour supplémenter le magnésium consommé.

Plusieurs modes de supplémentation sont envisageables selon le choix de maintenance :

  • Changements d’eau réguliers, de 15 jours à mensuels avec un sel correctement dosé. Les fluctuations entre deux apports sont acceptables.
  • Changements d’eau étalés, de l’ordre de tous les 2 ou 3 mois : procéder à des rattrapages selon les conseils décrits auparavant.
  • Changements d’eau très étalés, tous les ans, voire pas du tout : ce choix impose de réaliser régulièrement un bilan chimique via des analyses ICP, d’en déduire la consommation moyenne en mg/l/j. Le Calculateur de supplémentation permet de déterminer les doses et les solutions à préparer. Celles-ci sont injectées quotidiennement et automatiquement par pompe dose

 

En savoir plus

Aquarium Chemistry: Strontium and the Reef Aquarium –  Randy Holmes-Farley | Nov 15, 2003
Strontium et iode en récifal – Alain TORTEY – Ocean Passion On The Road – DVD n°31 (juillet 2010)
Comment
les coraux construisent-ils leur récif ?
– CNRS
Are calcium and strontium transported by the same mechanism in the hermatypic coral – Y. K. IP and A. L. L. LIM -june 1991 – National University of Singapore
Incorporation of strontium into reef coral skeletal carbonate – John N Weber – Science direct, 09/1973

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