Eliminer les cyanobactéries avec l’acide salicylique

Eliminer les cyanobactéries avec l’acide salicylique

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L’éradication des cyanobactéries et des algues invasives est une préoccupation récurrente de l’aquariophile récifaliste. Ce dernier ajuste sa maintenance pour éviter qu’elles apparaissent, et au moins pour les réguler. Malheureusement, il arrive parfois que leur prolifération prend une tournure ingérable que les moyens biologiques traditionnels sont inefficaces. Alors, quand les chamanes et les rituels de désenvoutement de l’aquarium restent sans effet, on passe en revue toutes les potions du commerce, prêt à tout tenter. L’acide salicylique est un moyen parmi d’autres.

1. L’acide salicylique

L’acide salicylique C7H6O3 (AS) est un acide phénolique métabolisé par les plantes, l’écorce de saule dont il tire son nom, mais aussi l’amande, la tomate, le melon, la framboise, la cerise…

Une évolution proche de cet acide : l’acide acétylsalicylique (aspirine) anti-inflammatoire, antipyrétique et analgésique, est utilisé comme traitement médicamenteux parce que mieux toléré par l’Homme, présentant moins d’effets secondaires gastro-intestinaux. Il est probable que son efficacité soit similaire, mais non utilisé comme algicide.

Il s’agit d’une poudre solide cristalline lipophile, donc attirée par les corps gras et très peu soluble dans l’eau à température ambiante. A l’état de poudre micronisée elle flotte en surface sans jamais absorber l’eau. Pour améliorer sa solubilité on peut la dissoudre au préalable dans un de ses solvants organiques, (éthanol 4 ml/g AS, vodka 40° 7 ml/g AS) compatibles avec notre usage aquariophile, augmenter la température (figure 1) ou bien utilisée une eau rendue basique par ajout de 3 g/l de carbonate de sodium, de bicarbonate de sodium, le salicylate de sodium obtenu serait, semble-t-il, tout aussi efficace que l’acide salicylique.

Tableau 1 : Solubilité de l’acide salicylique
Liquide 20°C 25°C 40°C 60°C
Eau 2,0g/l 2,4 g/l 4,2 g/l 9 g/l
Ethanol 348 g/l 370 g/l    
Vodka 40° 139 g/l 148 g/l    

2. L’acide salicylique comme algicide

Il existe de nombreux modes de traitement contre les cyanobactéries en aquarium récifal : biologiques, physiques ou chimiques. Ces derniers sont malheureusement parfois proposés de manière énigmatique, avec une efficacité variable. L’acide salicylique a l’avantage d’avoir prouvé son efficacité dans maintes occasions.

2.1. Principes de l’AS anti cyano, anti algues

Lors d’une agression, certains végétaux, algues incluses, produisent de l’acide salicylique. A faible concentration l’AS protège les cellules contre les intoxications par métaux lours (cadmium…), l’AS pouvant les chélater, réduisant ainsi le niveau de toxicité. L’amélioration de la capacité antioxydante inhible le stress induit par les agents pathogènes tels que les virus et cyanobactéries. C’est donc naturellement que l’AS est exploité dans le cadre de traitement anti cyanobactéries. Ainsi, en Asie l’AS extrait de paille de riz est utilisé en remplacement d’algicides chimiques, toxiques, néfastes aux poissons, comme moyen de traitement des étangs d’eau douce eutrophisés par l’accumulation de polluants agricoles et envahis par les cyanobactéries.

L’acide salicylique affecte les végétaux à plusieurs niveaux notamment au niveau des cellules. Il induit un stress cellulaire qui déclenche des mécanismes de protection. Il inhibe des enzymes impliquées dans la synthèse de composés essentiels à la division cellulaire (mitose), la réception de signaux endogènes enclenche le processus de mort cellulaire (apoptose). Il affecte la résistance de la membrane cellulaire en agissant sur sa composition. L’acide salicylique réduit la photosynthèse des cyanobactéries par modification de protéines (phycobiliprotéines) et inhibition de pigments photosynthétiques (chlorophylle a), la croissance des algues est alors réduite, conduisant à leur mort.
Ce processus a également été décrit en présence de l’acide fumarique, un algicide efficace, non documenté en aquariophilie ainsi qu’avec l’eugénol (clou de girofle) pour le même usage.

On l’imagine, si l’acide salicylique peut avoir des effets salutaires pour les végétaux photosynthétiques, pour les mêmes raisons, à plus haute dose il peut devenir délétère pour ces mêmes organismes.

2.2. Autres effets de l’acide salicylique

  • Antibactérien : l’AS est un antimicrobien à large spectre, actif contre les bactéries et les champignons. Il agit sur des processus cellulaires et donc le développement des bactéries. S’il permet de réguler la prolifération de cyanobactéries, il peut également contribuer à la prolifération d’autres espèces bactériennes et théoriquement perturber l’équilibre de l’aquarium. Cet aspect ne semble pas le cas en aquarium avec les doses prescrites, ou à un niveau non détectable.
  • Toxicité : l’AS est potentiellement toxique s’il est ingéré en grande quantité. Pour autant, bien que ce ne soit pas un composant de l’eau de mer, des études on montré que les poissons restent insensibles à de très fortes concentrations.
  • Inhibition sur les algues : phytotoxique il peut inhiber la croissance des algues supérieures. En l’absence d’études documentées il est préférable de déconnecter le refuge algal durant le traitement. Un retour de test en aquarium serait instructif.

2.3. L’acide salicylique algicide et anti-cyano en aquarium

Plusieurs études ont montré que l’usage de l’AS ne provoque pas d’augmentation des toxines cyanobactériennes dans l’eau en milieu confiné des tests. Son usage est peu répandu en aquariophilie récifale. Pourtant il est utilisé depuis longtemps en aquariophilie d’eau douce, les bassins extérieurs, les étangs, notamment pour réduire les proliférations de cyanobactéries. L’acide salicylique est une option déjà adoptée par certains fournisseurs aquariophile en eau douce et marine (Fauna Marin RedX, Aquatic nature Alg control B, Easy Life AlgExit, Easy Life BlueExit… ).

En aquarium l’acide salicylique est, ou serait, efficace sur plusieurs espèces :

  • Cyanobactéries vertes et rouges : c’est la principale utilisation de l’AS..
  • Algues filamenteuses : efficace selon de nombreux témoignages.
    Lors d’un traitement personnel, il n’a pas éradiqué totalement des touffes filamenteuses.
  • Dinoflagellés (Ostreopsis sp., Amphidinium sp., Prorocentrum sp) : quand l’invasion est à son début. Il n’y a pas de retours sur ce sujet.
    Lors d’un traitement personnel, il est resté sans effet sur Prorocentrum sp.
  • Diatomées : cette information issue d’un fabricant a propos de ces algues également unicellulaires ne semble pas relayée par le monde scientifique ou amateur.

3. Traitements dans l’aquarium

acide salicylique
Acide salicylique à 90 % de pureté pour usage cosmétique.

Par nécessité, les études exploitant les propriétés de l’AS en tant qu’algicide on poussé les concentrations à des niveaux très élevés. Pour autant, des effets positifs ont été obtenus en aquarium à des doses beaucoup plus faibles, sans danger pour les poissons et invertébrés (crevettes, gastéropodes, échinodermes, méiofaune). Il s’agit d’un traitement relativement simple, sans grande contrainte, sans changement d’eau, mais déployé sur plusieurs jours durant lesquels il faut aider par quelques siphonages.

3.1. Où trouver l’acide salicylique

L’acide salicylique pharmaceutique est (de moins en moins) disponible en sachet de 1 g, le produit à usage cosmétique, pur à 99 – 99,5 %, est disponible en VPC sous forme vrac de 10 g à plus de 200 g).

3.2. Protocole

Il consiste à préparer une première solution concentrée qui sera administrée ensuite dans l’eau de l’aquarium.

3.2.1. Préparation de la pré-solution

Il faut réaliser une pré-solution qu’il faudra distribuer dans l’aquarium. Le caractère hydrophobe de l’AS le rend difficile à dissoudre dans l’eau osmosée, d’autant plus qu’il est fortement micronisé : il flotte en surface sans jamais être absorbé. Sa solubilité augmente en présence d’alcool et dans une moindre mesure avec la température. Cependant, après plusieurs tentatives, l’alcool ne s’avère pas la meilleure solution, la poudre restant partiellement en surface ou sous forme de floculats. Seule une eau préchauffée au-dessus de 50 °C a permis une dissolution rapide et parfaite (figure 1).

  1. Peser la poudre d’acide salicylique avec une balance de précision à 0,01 g (figure 2).
    Concentration : 2 gramme d’acide salicylique par litre d’eau osmosée (2 g AS/l)
    Besoin : pour traiter 1000 litres sur 10 jours il faut 500 ml de solution, soit 1 gramme d’ AS
  2. Chauffer le volume d’eau osmosée dans un récipient en verre à environ 60 °C (ex : four microonde 5 mn à 600 W). Utiliser un récipient transparent (verre) pour évaluer la qualité de la dissolution d’acide salicylique.
  3. Verser la pesée d’AS dans le récipient. A ce stade, la poudre hydrophobe reste en surface.
  4. Agiter fortement le récipient une à deux minutes jusqu’à dissolution totale.
  5. Conserver la solution dans un récipient opaque, étanche.

3.2.2. Préparatifs du traitement

  1. Déconnecter le refuge algal (en attente de plus de retours utilisateurs).
  2. Stopper les traitements : retirer les matériaux d’adsorption (charbon actif, zéolithe), arrêter les équipements oxydants (UV, ozone…).
  3. Conserver l’écumage
  4. Mettre en place un filtre mécanique : ouate ou micron filtres de préférence en maille polyamide 200 µm, plus facile à nettoyer que le polyester intissé. La quantité de matières en suspension impose de le nettoyer fréquemment pour limiter la diffusion de cyanotoxine produite par certaines cyanobactéries.
  5. Décoller les tapis de cyano, le flux d’une pompe à eau, dirigé sur le décor. Siphonner la surface du décor et le fond.

 

 

Figure 1 : Préparation de la solution d’acide salicylique dans l’eau préchauffée
acide salicylique
Pesée sur balance à 0,01 g.
acide salicylique
Chauffage de l’eau à 60°C au microonde 5mn 600W
acide salicylique
La poudre d’acide salicylique stagne en surface avant agitation..
acide salicylique
Après agitation, la poudre est totalement dissoute et elle le reste à température ambiante.
 

3.2.3. Traitement curatif journalier

  1. Agiter la solution.
  2. Doser 10 ml de solution pour 100 litres d’eau (0,2 mg AS/l).
  3. Introduire chaque soir après extinction de l’éclairage pour limiter toute forme d’oxydation.
  4. Renouveler 5 jours. Les cyanobactéries disparaissent progressivement parfois au premier jour, généralement à partir de 3 jours, ne pas s’inquiéter d’absence d’amélioration perceptible avant ce délai.
  5. Renouveler les nettoyages (préparatifs ci-dessus). L’élimination régulière des matières mortes évite la dérive des paramètres.
  6. En cas d’infestation importante poursuivre plusieurs jours, jusqu’à 15 jours.
  7. Durant 5 jours après traitement à l’AS :
    • Ne pas renouveler l’eau,
    • ne pas traiter avec des produits absorbants ni adsorbants (charbon actif, zéolithe…).
    • Si besoin, éliminer les nids de cyanobactéries résiduels.
  8. Filtrer sur charbon actif après traitement,
  9. Rajouter des bactéries.
  10. Reprendre l‘entretien normal, pas besoin de changement d’eau.

3.2.4. Traitement préventif hebdomadaire

Dosage : même dosage 10 ml de solution pour 100 litres d’eau (0,2 mg/l AS), chaque semaine. Adapter la fréquence selon les signes d’apparition des cyanobactéries.

4. Mon expérience

La décision du traitement des cyanobactéries faite suite à une situation assez désespérée de plusieurs mois de galères successives : cyanos, dinos, crypto, bactéries, protozoaires, STN, RTN… Bien entendu les solutions biologiques ont été mises en œuvre (bactéries, équilibre PO4/NO3, écumage, nourrissage…), physiques aussi (blackout) et à ce stade de désespoir la voie chimique s’impose. Je n’ai pas osé tenter des produits mystères, vendus à des tarifs décourageants (≈100 € pour 1000 litres) aux résultats souvent aléatoires à en juger les avis contradictoires. J’avais précédemment réalisé un traitement des cyanos à l’acide salicylique. Les résultats étaient plutôt positifs mais la relation de cause à effet faussée par la variation d’autres paramètres. Le bon moment pour confirmer… ou pas. Durant ce traitement, mon moral étant tellement bas, je n’ai pas pris de photos de la situation.

4.1. Situation de l’aquarium

Algues en présence

L’aquarium de 1000 litres contenait alors plusieurs souches envahissantes :

  • Une algue brune, non identifiée, plus ou moins raide, se développant en tapis peu épais à l’image d’un treillis non tissé. Apparue dès la mise en eau, elle a proliféré sur 3 ans pour recouvrir une grande partie du décor. Aucun animal, gastéropode, oursin ou poisson ne la broutait. Elle partait difficilement par grattage à la brosse, pour revenir rapidement. Une algue à l’origine de stress et de nécroses au contact des coraux SPS et LPS. Elle était surtout devenue un bon réservoir à sédiments pour les cyanobactéries.
  • Des cyanobactéries rouges avaient fini par envahir le décor, recouvrant ce tapis d’algues brunes ainsi que le sable que je clochais de temps à autre. Ce sont elles qui ont décidé de ce traitement à l’acide salicylique.
  • Quelques touffes d’algues filamenteuses dans les zones plus ombragées.
  • Des valonia éparses qui ne m’inquiétaient guère.
Paramètres de l’eau

A ce stade les ICP étaient au beau fixe. Les carences de Mn, Mo, Ni et V remises à niveau sans effet sur les algues. Les PO4 évoluant entre 0,02 et 0,08 mg/l, NO3 entre 5 et 15 mg/l, pH 8,3 à 12 h, redox 380 mV.

4.2. Observations

Le protocole a été celui décrit ci-dessus.

Brosses fatales pour nettoyer le décor.
  • J0 : Première dose et suivantes (100 ml solution pour 1000 L), introduites après extinction de l’éclairage.
  • J1 : Dès le lendemain matin, les algues filamenteuses ont pris une couleur marron, signe d’un début de mort. Le même constat avait été fait lors du premier traitement mais moins rapidement. Les cyanobactéries ont également légèrement bruni. Un petit coup de brosse m’a rapidement confirmé qu’elles se grattaient plus facilement ainsi que le tapis d’algues brunes qui se décollait sans grand effort.
    J’ai donc entrepris un brossage général du décor, avec d’autant plus d’entrain que je n’avais pas observé les roches aussi dénudées depuis longtemps. J’ai régulièrement soufflé à la pompe à eau pour décoller les cyanos, avec plus de facilité qu’autrefois, pour nettoyer le décor et libérer les coraux des particules redéposées. Et ainsi de suite. Tout n’est pas parti, mais l’espoir est revenu.
    Ecumeur en fonctionnement. Les microns filtres nettoyés tous les quarts d’heure. A 200 µm ils se colmatent rapidement. Les plus gros amas sont retirés à l’épuisette. Le soir ajout 2ème dose.
  • J2 : Les micron filtres ne débordent plus comme auparavant après chaque nuit. Moins de particules mortes en suspension, signe que de l’activité des algues régresse déjà, du moins son ampleur.
    Le sable partiellement remué la veille est localement recouvert de cyanobactéries. J’entreprends de siphonner la couche supérieure. Le sable est fortement brassé et rincé plusieurs fois à l’eau douce jusqu’à ce que le jus rouge initial ne prenne que la teinte légèrement beige du sable. Le sable est pauvre en microfaune compte tenu des nettoyages antérieurs de cyanos. Trempage du sable dans de l’eau oxygénée 12 % diluée à 20% dan l’eau du réseau durant 1 heure. Remise du sable dans le bac. Il sera je l’espère rapidement de nouveau colonisé à partir de la couche de sable restante.
    Le soir ajout 3ème dose.
  • J3 : Le sable nettoyé de la veille est encore blanc. Le décor n’a plus cette couche épaisse d’algues, et les cyanobactéries ont quasiment disparu là où elles avaient été décollées. Cependant de nombreuses zones demandent à être nettoyées, il reste quelques ilots d’algues filamenteuses. De plus, de nombreuses particules d’algues marron, en suspension, se sont redéposées la nuit sur le décor. Brossage du décor avec les brosses fatales emmanchées au bout d’un tube PVC. Durant ce nettoyage, les micron filtres sont nettoyés dès que nécessaire.
    Le soir ajout 4ème dose.
  • J4 : Les cyanobactéries ont totalement disparu. Quelques algues filamenteuses n’ont pas été éradiquées. L’algue marron en tapis n’est plus présente. Toutefois les substrats, sable et roches, se recouvrent après nettoyage de ce qui semble être une algue plus ou moins brune et visqueuse sur laquelle le microscope dévoile des agglomérats dinoflagellés Prorocentrum sp. Un dernier fléau à combattre.
  • J5 : Nettoyage des substrats, beaucoup plus facilement qu’avant le traitement. Quelques bulles vides de valonia mortes se détachent ça et là. Il en reste encore, inacessibles dans les anfractuosités, apparemment épargnées par le traitement.
    Arrêt du traitement à l’AS.

4.3. Bilan

L’acide salicylique :

  • Est très efficace contre l’espèce de cyanobactérie rouge présente.
  • Est efficace contre une algue rase brune non identifiée.
  • Est peu efficace contre les valonia
  • Est inefficace contre les dinoflagellés Prorocentrum sp.
  • Il n’affecte pas les coraux, poissons, vers filtreurs, ophiures ni les éponges.
  • Est sans effet sur le pH et le redox tout deux restés stables.

 

Ce traitement présente de nombreux avantages par rapport à d’autres solutions. Il serait intéressant que d’autres aquariophiles puissent faire part de leur expérience selon ce protocole afin de l’améliorer si besoin.

 

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