Une cause très fréquente de la perte de coraux en aquarium résulte de nécroses tissulaires. Ce phénomène est d’autant plus étudié depuis que la maladie de la perte de tissu corallien (SCTLD) s’est propagée dans les récifs coralliens de la Floride et des grandes Caraïbes. Une approche récente pour contrecarrer son développement consiste à exploiter la faculté de certaines bactéries probiotiques à secréter naturellement des substance antibactériennes. Cet article propose de faire le point sur la situation de la recherche et d’aborder de quelle manière l’aquariophile tire profit de ces avancées dans sa maintenance récifale, avec des traitements probiotiques en bains ou en aquarium communautaire.
1. Etat de la recherche sur les nécroses tissulaires (TN)
On a longtemps évoqué des maladies tissulaires (TN) sous plusieurs terminologies (maladie de la bande blanche, peste blanche, maladie de la bande noire, brune ou jaune…). Leurs manifestations diffèrent quelque peu selon les zones d’apparition, la vitesse de progression, les couleurs du squelette ou des tissus, les agents infectieux (bactéries ou cyanobactéries). Il est maintenant admis que les nécroses tissulaires lentes (STN, Small Tissue Necrosis), qui se développent en quelques semaines, sont toujours le fait d’infections bactériennes et, avec les analyses génétiques, bien régulièrement le fait des mêmes pathogènes. Depuis les évènements de nécroses tissulaires dans les Caraïbes en 2014, on évoque de manière plus globale la maladie de la perte de tissu corallien (SCTLD Stony coral tissue loss disease), affectant plus d’une vingtaine d’espèces de coraux et causant la perte de grandes étendues coralliennes. A l’instar de ce que l’on nomme la STN en aquarium, la progression est relativement lente, mais dévastatrice. Les causes originelles sont multiples et toujours des stress affaiblissant le corail. Par exemple, de nombreuses épidémies sont associées à des températures élevées. Ces infections ouvrent encore plus la porte à des organismes opportunistes coupable des nécroses tissulaires rapides (RTN, Rapid Tissue Necrosis). De nombreuses études on porté leurs efforts sur des traitements à base d’antibiotiques (amoxicilline). Les résultats sont cependant mitigés, non durables et controversés, dans l’ignorance des effets collatéraux et la certitude qu’un antibiotique améliore toujours la résistance aux antibiotiques.
Une autre voie, appliquée dans d’autres domaines (médecine, aquaculture), a été étudiée pour traiter la SCTLD. Il s’agit de l’utilisation de bactéries probiotiques associées aux coraux, en mesure d’améliorer leur résistance aux maladies. On parle d’antagonisme bactérien (2). Une interaction dans laquelle une bactérie inhibe ou empêche la croissance d’une autre de différentes manières : par l’occupation physique de l’espace, la production d’antibiotiques et/ou la compétition avec des bactéries non résidentes pour les nutriments.
Une souche de la bactérie Pseudoalteromonas sp. (1) s’avère posséder une activité antibactérienne à large spectre, efficace contre les bactéries pathogènes associées à la maladie. Vibrio coralliilyticus et V. shiloi sont des pathogènes régulièrement observés dans les mucus lors les différentes épisodes de maladies. Velle-ci produit au moins deux antibactériens potentiels, la korormicine et le tétrabromopyrrole. Lors d’essais de laboratoire en aquariums, la souche a en effet stoppé ou ralenti la progression de la maladie sur une majorité de fragments de Montastraea cavernosa malades, et empêché la transmission de la maladie dans tous les cas. La souche constitue donc un traitement prophylactique directement efficace contre la SCTLD. C’est une alternative intéressante à l’utilisation d’antibiotiques.
2. En aquariophilie récifale
Pour mieux se familiariser avec le monde bactérien, je vous invite à lire l’article Bactéries en aquarium marin et récifal. Des études ont mis en avant l’efficacité d’antibiotiques contre les STN : l’ampicilline contre plusieurs souches de Vibrio sp. et la ciprofloxacine contre le pathogène Arcobacter sp., spécifique aux aquariums récifaux. Des utilisations en aquarium semblent traduites par des résultats encourageant, sans dommage collatéraux, ni apparente déstabilisation du système. Pour autant, les effets d’antibiotiques sur la population bactérienne de l’aquarium sont, par leur principe, inéluctables et imprévisibles sur le long terme. Ces traitements ne sont pas sans risques, considérant la difficulté à retraiter les effluents dans le réseau d’assainissement.
Ces études ont mis en évidence la cause probable des STN : des bactéries pathogènes (Vibrio vulnificus, V. coralliilyticus, V. shiloi, V. harveyi…), et des RTN : des parasites opportunistes, notamment le protozoaire cilié Philaster lucinda, prédateur des tissus coralliens. En toute logique, selon leurs modes d’action respectifs, le traitement des premiers ne devrait pas laisser les seconds s’exprimer.
La voie exploitant des bactéries bénéfiques, probiotiques, dans l’environnement immédiat des coraux malades pour traiter les nécroses est une approche novatrice et prometteuse.
2.1. Souches de bactéries probiotiques
On recherche ici plutôt des espèces en mesure de libérer des substances antibiotiques. Les bactéries attachées à une surface, qu’il s’agisse de détritus ou de surfaces biotiques, sont plus susceptibles que les bactéries libres de produire des antibiotiques. Par exemple 35 % sur 400 souches de bactéries de surface isolées d’algues et d’invertébrés dans les eaux écossaises présentent une activité antimicrobienne. De nombreuses souches produisent des anti-microbes, peu cependant agissent sur les pathogènes spécifiques aux coraux.
Le genre Pseudoalteromonas, s’avère produire des substances antibactériennes inhibant plusieurs bactéries (2), et s’est révélé efficace contre les nécroses coralliennes lors de tests en laboratoire. On n’en connait pas l’espèce. Il existe cependant d’autres probiotiques connus pour produire des substances antimicrobiennes en d’autres circonstances, sans toujours savoir sur quelles bactéries pathogènes elles agissent. Par exemple les bactéries marines Alteromonas spp., Halomonas spp., Ruegeria spp., Rhodopseudomonas palustris, voire Bacillus utilisés en aquaculture, ou Pseudomonas… Leur efficacité dépend des pathogènes en cause, et que l’on n’identifie pas toujours en aquarium.
Parmi les kits commerciaux disponibles pour l’amateur, très rares sont ceux qui nomment les souches présente. Espérons que les fabiquants proposeront bientôt des formules probiotiques en mesure de répondre au problème récurrent des STN/RTN en aquarium récifal. Selon les analyses initiées par des particuliers et communiquées sur le forum Bottle bacteria result du site Humble.Fish, Il semble que certaines marques contiennent un ou plusieurs genres de bactéries citées ci-dessus :
- Arka Microbe-Lift Special Blend (Rhodopseudomonas palustris).
- Hydrospace PNS ProBio (Rhodopseudomonas palustris).
- Prodibio Biodigest (Pseudomonas, Bacillus).
- Tropic Marin Nitribiotic (Bacillus subtilis), précisé dans la fiche technique.
- Brightwell MB7 (Bacillus, Ruegeria).
- Tim’s Eco-Balance (Bacillus).
2.2. Traitements probiotiques
2.2.1. Principes des traitements
Il s’agit ici d‘implanter des bactéries bénéfiques au sein du corail, visant à restaurer l’équilibre naturel de son microbiome pour une meilleure immunité et sa santé, ainsi que dans son environnement immédiat. On souhaite alors favoriser l’action des bénéfiques dans leur antagonisme avec les pathogènes sur plusieurs plans : supplanter ces derniers en occupant leurs niches écologiques, les inhiber avec des composés antimicrobiens naturels et, ce faisant, stimuler la régénération des tissus coralliens. Contrairement aux traitements par antibiotiques, les probiotiques n’encouragent pas le développement de résistance bactérienne.
2.2.2. Durée de traitement
L’implantation des bactéries dans l’environnement ou au sein du corail nécessite un certain délai qui dépend du type de bactérie probiotique, de l’étendue de l’infection et des conditions du traitement. Les durées évoquées sont variables, elles peuvent être de l’ordre de 2 à 6 heures en bains et de 24 ou 48 heures dans des conditions moins ciblées pour obtenir un impact significatif. Il est probablement possible d’augmenter les chances de fixation et de limiter le délai en bain en procédant à partir de cultures bactériennes préalablement cultivées en plus grande quantité. Ce sujet est développé dans Bactéries en aquarium marin et récifal.
2.2.3. Fréquences du traitement
Il faut surveiller attentivement la réponse du corail dès le traitement. Les nécroses peuvent être rapides et dans le meilleur des cas on pourra observer son ralentissement, voire son arrêt dans les 24 heures. D’une manière générale, on ne peut statuer sur la réussite du traitement qu’après plusieurs semaines, selon que des nécroses reprennet, ou pas. Des réintroductions périodiques de bactéries sont parfois pratiquées, indispensables ou pas, pour permettre aux bactéries de coloniser durablement le corail malade
2.2.4. Protocoles de traitements
Il faut bien prendre conscience que le traitement probiotique des TN n’est pas une pratique répandue dans le monde de l’aquariophilie récifale. Il est d’ailleurs toujours en phase de développement dans le domaine de la recherche. Quelques pratiquants se forgent actuellement une expérience sans beaucoup communiquer. Cet article est publié, avec son lot d’incertitudes, pour promouvoir cette approche naturelle en espérant qu’elle s’avère efficace. Les retours d’utilisateurs sont évidemment les bienvenus pour évoluer vers des protocoles fiables.
Deux options s’offrent à l’aquariophile : celui de traiter l’aquarium dans son intégralité et le traitement en bains externes.
2.3. Traitement en bain externes
On a pu constater que les nécroses sont le plus souvent limitées à un seul spécimen. Il s’agit malheureusement d’une situation temporaire. En effet, la population pathogène semble se limiter à un massif corallien, tant qu’elle y trouve son compte. Une fois le corail desquamé, elle peut migrer sur la colonie voisine et ainsi, de proche en proche, décimer tous les coraux de l’aquarium.
Dans cette situation, il est peut être encore temps de traiter seul le corail infecté. Le pathogène est certainement toujours dans le milieu, mais à un niveau trop faible pour affaiblir les autres colonies. Un bain externe de la colonie permet de maximiser les chances de fixer plus rapidement les bactéries probiotiques sur le spécimen concerné. Le bain consiste à immerger le pied de corail affecté dans une solution contenant des souches bactériennes bénéfiques. C’est d’ailleurs la solution utilisée dans le cadre de recherches comparatives sur des associations probiotiques / pathogènes / coraux.
Ce bain annexe peut se réaliser à titre curatif, et également préventif dans un bac de quarantaine dédié à cet usage, avant toute introduction dans l’aquaium.
Le trempage antiparasitaire est il indipensable… je livre le protocole tel qu’il m’a été décrit.
Protocole en bain externe
- Trempage (DIP) désinfectant, voire antiparasitaire : tremper le corail dans l’une des solutions suivantes réalisée avec de l’eau issue de l’aquarium. Les 3 premières sont les plus courantes :
- Polylab Reef Primer coral dip (sels de potassium) : 5 mn dans 12 g/l (préconisation fabricant).
- Chlorure de potassium (KCl) : environ 5 à 10 mn dans 4 g/l (préconisation utilisateurs).
- Hamamélis : 30 mn dans 10 ml/l, ce dosage est établi pour le produit TN Dickinsons, Wich Hazel Astringent étiquette bleue.
- Permanganate de potassium (KMnO4) : 30 à 90 mn dans 50 mg/l.
- Eau oxygénée 10 Vol : désinfectant des tissus 5 mn dans 10 ml/l (1%) pour les acropora. Consulter les dosages selon les différents objectifs de désinfection ou déparasitage pour plusieurs espèces de coraux Peroxyde d'hydrogène en aquariophilie récifale
- Agiter et rincer à l’eau de mer.
- Traitement bactérien en bain :
- Préparer un récipient avec l’eau de l’aquarium.
- Introduire la dose de bactéries, remuer.
- Oxygéner au moyen d’un bulleur durant au moins 2 heures le temps que la population se développe un peu.
- Immerger le pied durant au moins 6 heures le temps que les bactéries se fixent sur le corail.
- Replacer le corail ainsi que le liquide du bain dans l’aquarium.
2.4. Traitements en bac communautaire
Il est fort probable que des bactéries pathogènes présentes sur un massif infecté le soient également dans son environnement et dans l’eau. Certes les coraux sains devraient être en mesure de lutter avant que l’infection s’installe. Dans le doute, on peut choisir de traiter le bac dans son intégralité, partant des principes que s’agissant de bactéries probiotiques il n’y a pas grand risque et, ce qui vaut pour un corail, vaut pour l’ensemble.
Protocole de traitement dans l’aquarium
Je fais part ici d’un protocole pratiqué aux US et commenté lors de communications personnelles. Il évoluera en fonction des expériences acquises.
L’idée est de réaliser une lutte globale sur un champ étendu : d’une part en traitant les supports et autres surfaces environnantes, et d’autre part en apportant simultanément au corail les probiotiques en mesure de l’aider dans sa lutte.
J’évoque l’utilisation atypique d’eau de javel. Elle éliminerait plus particulièrement les bactéries à Gram négatif qui constituent la plupart des pathogènes coralliens. Le dosage proposé a été maintes fois utilisé sans aucun dommage au point qu’il est poursuivi sur une semaine. Bien qu’en apparence innofensif sur le fonctionnement de l’aquarium et ce après plus d’un an, on peut comprendre quelques réticences à le mettre en oeuvre.
L’hamamémlis (angl. witch hazel) est également proposée. L’utilisation de cette solution d’extraits de feuilles et d’écorces de l’arbustre, dans de l’éthanol, est détaillée sur Reef Moonshiners. Ses effets sur la STN sont parfois positifs, parfois sans avis tangible.
Est- il possible d’appliquer la méthode sans désinfection par l’eau de javel ou l’hamamélis ? Nous le saurons plus tard. Je la livre donc telle qu’elle m’a été décrite.
- J1 à J7 Désinfecter l’aquarium durant 7 jours par l’un des moyens suivants :
- Eau de javel, hypochlorite de sodium (NaClO) à 7,5 % : dans l’aquarium, en microdosage, toutes les 12 heures, l’eau de javel à raison de 0,83 ml pour 100 litres.
- Hamamélis : introduire 5 ml/l d’eau de l’aquarium, le soir, dans la cuve technique. Ce dosage vaut avec le produit Wich Hazel Astringent étiquette bleue de TN Dickinsons.
- J1 à J7 Introduire les bactéries : dans la même période, chaque jour ajouter une dose de bactéries en intercalant environ 6 heures après un microdosage d’eau de javel.
- J8 à J14 Post traitement bactérien : la période précédente de 7 jours étant terminée, ajouter des bactéries dans les 7 jours qui suivent.
3. Mon expérience
Je n’ai encore rien à relater. Dans un premier temps je teste, avec Biodigest et Microbe-Lift Special Blend, un traitement en bain d’une souche de Pocillopora présentant quelques traces de nécroses STN qui reviennent épisodiquement.
Merci pour vos retour après d’éventuelles utilisations.
En savoir plus
- 1 : Chemical and genomic characterization of a potential probiotic treatment for stony coral tissue loss disease
- 2 : Antagonistic interactions among coral-associated bacteria
- Can probiotics save corals from a devastating tissue loss disease?
- Phage therapy of coral disease
- Development of alternative in situ treatments for stony coral tissue loss disease
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