Cyanobactéries en aquarium

Cyanobactéries en aquarium

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Les cyanobactéries, organismes vivants, autrefois appelées cyanophycées car les premières espèces découvertes étaient bleues, forment un embranchement au même titre que les bactéries, dans le grand groupe des procaryotes (dépourvus de noyau). Elles constituent un groupe très hétérogène dans leurs caractéristiques morphologiques et génétiques. Leur aptitude à réaliser la photosynthèse et donc de tirer leur énergie à partir de la lumière (photoautotrophes), les différencie des bactéries strictes et les fait parfois injustement assimiler à des algues.

1. Au commencement du monde

Les cyanobactéries,  organismes primaires, sont apparus sur terre il y a plus de 3 milliards d’années. Elles ont joué depuis et jouent encore un rôle primordial sur l’évolution de notre planète :

  • La diversité des espèces de cyanobactéries leur a permis de coloniser de façon massive la grande majorité des écosystèmes terrestres ou aquatiques, des plus chauds aux plus froids, hypersalés, alcalins. Ce faisant, au fil des âges, la production massive de dioxygène (O2) par leur activité photosynthétique a contribué à modifier la constitution de l’atmosphère terrestre, à l’origine hostile, et permis l’évolution de la vie vers des formes plus évoluées, algues, plantes, animaux ainsi que l’existence même de l’Homme.
  • Les cyanobactéries, constituant une bonne part du phytoplancton, contribuent fortement à la fixation en surface des océans, du dioxyde de carbone (CO2) atmosphérique. Ce rôle prend une importance majeure, aujourd’hui, en raison de l’accroissement de la production de ce gaz à effet de serre par les activités humaines.
  • Comme maillon essentiel dans les circuits de nutrition (réseaux trophiques) océaniques, elles contribuent grandement à la transformation du CO2 en carbone (la pompe organique) et à son stockage dans les sédiments en profondeur des océans (les puits de carbone), en réserve pour les besoins futurs de la planète.

Pour l’avenir, leurs propriétés permettent d’entrevoir des débouchés capitaux tels que l’utilisation à grande échelle des bactéries du genre Arthrospira (spirulines), très riches en protéines, en compléments alimentaires pour le traitement de la malnutrition ou la production de biocarburants dans des réacteurs dont les rendements surpasseront les cultures terrestres d’oléagineux comme le tournesol ou le colza.

Les cyanobactéries n’auraient donc pas que des défauts comme les aquariophiles le laissent entendre ? Voyons ce qu’il en est dans le milieu qui nous préoccupe.

2. Les reconnaître dans nos aquariums

Photosynthétiques, les cyanobactéries suivent donc le cycle de la lumière mais à un rythme de reproduction extrêmement rapide propre aux bactéries. Ainsi, elles apparaissent le matin, recouvrent le substrat rapidement en cours de journée, la photosynthèse dégageant des bulles étincelantes enrichies d’oxygène, et elles disparaissent le soir avec l’atténuation de l’éclairage. D’aspect visqueux, parfois filamenteuses, leur couleur du jaune terne au noir en passant par différentes teintes de bleu-vert, bordeaux, brun, résulte de la présence de pigments variés : chlorophylles vertes, carotènes rouges et oranges, xanthophylles jaunes, phycocyanine bleue et phycoérythrine rouge. Elles se développent en formant des plaques plus ou moins denses sur le sable, les pierres et tout l’espace environnant.

En aquarium, cyanobactéries rouges…
…vertes…
… marrons.
Cyanobactéries en eau douce.

3. Gênantes…

Leur effet visuel est désastreux et justifie que l’on s’en inquiète. Les cyanobactéries ne sont pas particulièrement gênantes pour la faune, cependant leur concentration augmentant, les toxines (cyanotoxines) libérées dans l’environnement immédiat finissent par freiner la croissance des coraux et par les étouffer définitivement, tout comme les coraux entre eux mais on va le voir, de façon bien plus rapide.

4. Modes d’apparition et de développement

Les Cyanobactéries sont très tolérantes aux conditions extrêmes (chaleur, froid, pH, lumière, composition de l’eau, dessication…) et lorsqu’elles sont trop sévères, les souches peuvent entrer en dormance pour réapparaître bien plus tard. Elles sont donc certainement présentes dans tous les bacs, déjà à l’introduction des pierres vivantes ou peuvent tout simplement, au profit d’un courant d’air, provenir de l’espace extérieur environnant.

Elles apparaissent fréquemment au démarrage du bac pour disparaître alors assez vite, naturellement, dans le cycle de démarrage. Mais on les observe également dans des bacs matures, elles sont alors beaucoup plus difficiles à éradiquer. En effet, comme l’essentiel des organismes elles ont besoin d’azote, celui issu du cycle de l’azote (ammoniaque, nitrites, nitrates), mais contrairement à beaucoup d’autres, elles sont capables de capter directement dans l’eau le diazote (N2) qui leur est nécessaire, et mieux encore de le stocker plusieurs jours lorsqu’elles en disposent en excès. C’est la raison pour laquelle elles prolifèrent même dans des milieux sains, exempts de nitrates. Elles peuvent aussi synthétiser naturellement leurs propres chélateurs permettant de rendre les oligo-éléments nécessaires directement biodisponibles, et de manière plus ou moins régulée dans le temps, quand les organismes concurrents ont besoin de trouver ces chélateurs dans d’autres sources. On le comprend, même dans un bac oligotrophe apparemment exempt de nutriments, les cyanobactéries disposent de certains avantages qu’il est préférable de ne pas solliciter.

Aller plus loin

Les Cyanobactéries disposent d’une enzyme la nitrogénase. La propriété de cette enzyme est de réduire N2 en NH3. Cette dernière est une ferroprotéine sensible à l’oxygène, c’est à dire qu’elle a besoin d’oligoéléments tels que le Fer et le Molybdène (ou le Vanadium pour certaines) pour fonctionner.

L’adjonction d’oligo-éléments par le biais de sels, souvent en concentration élevée, ou de certaines solutions à corallines, peut favoriser le développement des cyanobactéries. D’autant plus que la quantité de métaux nécessaire à la réaction enzymatique est très faible.

De même cette enzyme est sensible à de fortes proportions d’oxygène. L’activité de la nitrogénase est contrôlée par la concentration en oxygène qui peut endommager de manière irréversible l’enzyme par oxydation. Ceci pourrait expliquer l’efficacité d’une augmentation du brassage par la sursaturation de l’eau en oxygène (bien que l’enzyme soit protégée par des cellules spécialisées). De la même façon, l’augmentation du potentiel redox inhibe la nitrogénase. Cette augmentation peut être réalisée soit par adjonction d’ozone soit par l’ajout de permanganate de potassium. Toutefois, cette augmentation artificielle du potentiel redox peut induire, sur le plus ou moins long terme, une concurrence des bactéries qui participent au cycle de l’azote. Après arrêt des traitements, cela peut se traduire par un développement  des cyanobactéries.

Elles se reproduisent rapidement de multiples manières : par division cellulaire, par bourgeonnement, par fragmentation ou scission multiple. De plus, elles produisent des fragments végétatifs spécialisés qui assurent leur flottaison pour faciliter leur propagation à tous les niveaux de la colonne d’eau, là où les conditions sont favorables. Dans le milieu naturel, par temps calme, leur accumulation en surface sous formes d’efflorescences est si importante que les eaux paraissent colorées, ce qui a valu son nom à la Mer Rouge. Elles sont également capables de se déplacer et de se déployer sur les supports par un mouvement de glissement. Cette situation est d’autant plus préoccupante que, toxiques, elles sont délaissées par les animaux habituellement dédiés au nettoyage du substrat. D’une manière générale, les cyanobactéries ont une «rétro-influence» chimique, physique et biologique sur l’environnement (lumière, CO2, O2, N2, température, pH…), leur impact sur leur propre environnement est de nature à favoriser encore leur persistance et leur dominance dans le milieu. Cette capacité de développement est telle que l’aquariophile aura tout intérêt à éviter les conditions de leur apparition.

Leurs atouts pour l’occupation du territoire
Atouts Algues Bactéries Cyanobactéries
Tolérance aux dérives du milieu ** ***** *****
Capter directement l’azote de l’eau ** ***** *****
Stocker l’azote * ***** *****
Photosynthèse ***** * *****
Capter la faible énergie lumineuse * * *****
Modes de reproduction *** ***** *****
Modes de propagation *** ***** *****
Rapidité de propagation *** ***** *****
Capacité à décourager les prédateurs * ***** *****
Entrer en dormance pour se régénérer ** ***** *****

5. Stratégie de lutte

Elles ont des atouts, déployons les nôtres de façon la plus cohérente possible. Leur apparition n’échappe pas aux règles de la lutte entre les espèces : elle résulte d’un déséquilibre qui leur devient favorable, soit qu’on ait créé les conditions favorisant leur développement, soit que les conditions nuisent aux autres organismes avec lesquels elles entrent en compétition, c’est-à-dire prioritairement les bactéries et dans une moindre mesure les algues. La place laissée par les unes profite aux autres.

La guerre contre cette « peste rouge » consistera donc essentiellement à lutter contre les conditions de leur survie : les sources d’énergie, tout en évitant de nuire, ou mieux, en développant les organismes concurrents, créant ainsi une concurrence alimentaire. Connaissant les interactions entre tous les organismes de notre mini bio-univers, le schéma qui suit le montre bien, c’est un exercice d’équilibriste, mais que l’on se doit de réussir.

 

6. Recherche des causes potentielles

Pas de panique, puisque le bac tournait convenablement avant leur venue, la situation actuelle est forcément liée à une dérive plus ou moins rapide d’un ou plusieurs paramètres. Pour les éradiquer il faut faire le bilan de tout ce qui a pu évoluer. L’apparition des bactéries n’est pas soudaine, il ne faut pas négliger les évolutions qui ont pu naître au moins dans les 3 mois qui précèdent. Les courbes des tests seront les bienvenues, l’analyse visuelle également à condition qu’elle soit impartiale. On le voit dans le schéma, les causes potentielles sont multiples, à nous d’identifier les plus probables ou au moins d’évacuer les plus improbables.

Les causes sont variées, de manière non exhaustive on peut les lier à la dérive de la qualité de l’eau, à des déséquilibres bactériens ou au système de maintenance lui-même. Comme tout fléau, la lutte contre les cyanobactéries ne se gagnera pas par des actions, certes nécessaires, menées dans l’urgence. Ces algues reviendront et de plus belle manière encore, tant que ne seront pas trouvées les causes réelles de leur apparition. Trop souvent l’aquariophile se contente d’un plan d’action standard et se désespère plus tard de son inefficacité. Non, le bac n’est pas resté stable, non les paramètres ne sont pas tous bons, oui certains ont évolué, oui il s’est passé quelque chose. Les pistes qui suivent sont données à titre indicatif, elles recèlent très probablement la solution, mais pas obligatoirement, chaque bac étant différent. A chacun ses investigations, la quête de ce Graal là mérite toute notre attention et toutes nos énergies.

6.1. Supports et sédimentation

Les sédiments sont la principale cause d’apparition des cyanobactéries. Ils s’accumulent au fil du temps lorsque la maintenance se relâche et principalement dans des zones difficiles à atteindre, sur les pierres, dans leurs anfractuosités, sur le sable, et bien souvent sous le décor. Les cyanobactéries ne sont pas particulièrement gênantes pour la faune, cependant, piégeant de plus en plus de sédiments, la concentration de phosphates augmente localement, amplifiant leur croissance. A cela s’ajoute l’action des bactéries, lesquelles, par libération d’acide organique, peuvent faire diminuer le pH au niveau du sable et donc libérer le phosphate précipité, amplifiant ainsi la sédimentation.
Ces phosphates sont malheureusement nocifs pour les coraux qui finissent par dépérir. Leurs tissus nécrosés viendront augmenter encore les nutriments azotés dont profitera l’algue. On le voit, un cycle s’installe de façon pernicieuse, et les cyanobactéries progressent. Sachant les difficultés à se débarrasser de ce fléau, la vigilance s’impose.

6.2. Qualité de l’eau… N/C/P

L’eau doit bien entendu répondre aux exigences d’un bac récifal et particulièrement les paramètres de nature à favoriser la croissance des coraux. Des aquariophiles ont pu remarquer qu’il était préférable de maintenir l’alcalinité vers 9-11 dKH, et le pH vers 8.2. On sait dans le milieu de la culture de la cyanobactérie Arthrospira (spiruline), que le calcium et le magnésium gênent sa croissance, ce qui confirmerait certaines recommandations de maintenir leur taux à des valeurs fortes : Ca > 450 mg/l et Mg > 1400 mg/l.

La charge organique, a contrario, favorise leur prolifération, que son taux élevé soit dû à une pollution, aux processus métaboliques normaux, à des déficiences dans le traitement de l’eau ou à l’absence de concurrence végétale. Le taux de nitrates devrait être inférieur à 5 mg/l et les phosphates en deçà de 0.08 mg/l.

Le métabolisme des organismes est en relation avec les nutriments à leur disposition. On peut comprendre qu’une dérive de ces derniers dans l’eau de mer, en qualité et/ou quantité, est de nature à carencer les organismes habituels tout en profitant à d’autres, auparavant contenus, comme les cyanobactéries. Les scientifiques ont pu mesurer cette relation entre la composition du plancton marin et l’eau nourricière dans laquelle il évolue. Ainsi Redfield a observé, dans les eaux océaniques superficielles, un ratio entre les teneurs en dioxygène, carbone inorganique, azote et phosphore O2/C/N/P évaluée aujourd’hui à -138/106/16/1. Ce ratio, qui représente une moyenne, n’est pas immuable puisqu’il dépend des organismes (C/N/P a été relevé à 106/20/1 dans le tissu d’un Pocillopora sp. et 422/21/1 dans ses zooxanthelles) et de leur environnement (il est naturellement différent sur le récif). Par ailleurs, exprimé en mol (quantité d’atomes), pour le comparer aux valeurs des tests marins, il convient de tenir compte de la masse moléculaire de chaque élément. Le rapport N/P exprimé en moles s’approche de 10,5/1 lorsqu’il est exprimé en mg/l.

En aquarium récifal : les valeurs énocées restent toutefois approximatives puisque les tests aquariophiles sont imprécis et ne mesurent qu’une seule portion des éléments concernés (les nitrates représentent une partie de l’azote dissout de même que les phosphates inorganiques ne représentent qu’une part du phosphore dissout). Ceci étant, on peut oublier le rapport de Redfield influencé par trop de variables, tout en conservant son concept général, à titre indicatif : conserver un certain équilibre entre N/C/P. Par exemple, une inversion de N et P dans l’eau de l’aquarium reflète un dysfonctionnement qu’il convient de résoudre. L’expérience conseille de maintenir un ratio N/P de 100/1 à 150/1 expréimé en mg/l.

6.3. Éclairement

Le caractère photosynthétique des cyanobactéries ne peut échapper, tant leur propagation au cours de la journée est perceptible. On l’a vu, l’énergie de la lumière est utilisée par ces bactéries pour synthétiser chimiquement le dioxyde de carbone et les sels minéraux (nitrates, phosphates) présents dans l’eau en glucides nécessaires à leur survie. Les pigments photosynthétiques (chlorophylle a et b et des caroténoïdes) absorbent certaines longueurs d’ondes plus efficacement que d’autres. D’ailleurs, certains de ces pigments étant plus adaptés à la profondeur, les cyanobactéries réagissent différemment selon l’intensité ou le spectre délivré.

6.4. Population bactérienne

Pour son bon fonctionnement, le bac nécessite une flore bactérienne variée. Même si au démarrage les pierres vivantes apportent les souches assurant son équilibre, les aléas durant son évolution conduisent à réduire le spectre des espèces bactériennes. De faibles dérives suffisent pour que ces souches indésirables, contenues jusqu’alors, prennent le dessus.

7. Plan d’action

Voici une liste d’actions donnée dans le désordre, sans distinction du caractère curatif ou préventif ou des priorités propres à chaque installation et à l’urgence. Peu importe, l’essentiel est l’éradication des cyanobactéries. Mais comme je l’ai rappelé plus haut, au-delà de leur simple mise en œuvre, il faut profiter de ce plan d’action pour en déceler les effets, hiérarchiser les impacts pour déterminer la ou les causes principales à l’origine du désordre. C’est la condition pour en éviter le renouvellement et améliorer la maîtrise de son aquarium.

7.1. Equilibre N et P

Si besoin remonter les nitrates avec du nitrate de calcium ou de potassium, ou des produits du commerce de type nitrate plus. Baisser les phosphates avec des traitements ferriques (oxyde de fer) et les conserver à bas niveau avec une nourriture adaptée.

7.2. Réacteur à hydroxyde

Parmi les moyens de supplémentation en calcium et carbonates, l’ajout d’hydroxyde permet d’augmenter le pH et donc diminue la concentration en CO2. Mais attention, la qualité de l’hydroxyde peut induire une accumulation d’éléments indésirables et les dérives de fonctionnement du RAH peuvent amplifier la précipitation. C’est l’occasion de passer en revue le réacteur, de le nettoyer et vérifier que l’eau de chaux en sortie atteint bien les caractéristiques attendues.

7.3. Réacteur à calcaire

Le réacteur à calcaire, on le sait, sait se faire oublier. Mais le substrat contient-il des phosphates et la charge est-elle suffisante ? Le RAC ne délivre t’il pas un excès de CO2 indétectable, dont vont se repaître nos cyanobactéries, à l’occasion par exemple d’une augmentation du débit du gaz, de celui de la circulation d’eau, d’une fuite de l’électrovanne, ou plus simplement d’un déréglage du pH-mètre ?

7.4. Chauffage et refroidissement

On a pu constater que les cyanobactéries se développaient plus en été. Les hausses de température en cette saison sont de nature à déclencher leur apparition et leur prolifération. En effet, leur optimum de croissance est meilleur que les autres organismes photosynthétiques à des températures plus élevées. La température moyenne n’est-elle pas excessive, et n’y a t’il pas de brusques variations ou des amplitudes importantes ? La régulation de la température est un paramètre important que l’on confie pourtant à des thermoplongeurs bien souvent peu fiables. Connaissez vous seulement vos fluctuations jour-nuit ?

7.5. Faune détritivore

On ne connaît malheureusement pas d’animal, disponible dans le commerce, se nourrissant des cyanobactéries, cependant on peut s’assurer que la faune utile détritivore, celle qui remue ou nettoie le sable (étoiles de mer, holothuries, escargots, gobies, …), celle qui nettoie les pierres et leurs anfractuosités (Bernard l’Hermite, crabes, Parupenus…), est encore présente, variée et en quantité suffisante.

7.6. Clochage, tempêtes

On a pu miser sur l’action biologique des détritivores pour nettoyer les sédiments, le résultat est il seulement atteint ? Que ce soit pour traiter l’invasion ou préventivement, on peut nettoyer les sédiments partout où ils se localisent préférentiellement : à la surface du décor, tout autant qu’à l’intérieur de celui-ci, dans les anfractuosités ou au bord du décor, c’est à dire à proximité des pierres vivantes. Les décors aérés verticaux sont, sur ce point, préférables aux pierres plates horizontales, les poissons se chargeant de faire tomber les dépôts à chaque passage.

Avec une pompe, on peut réaliser des mini « tempêtes » sur les décors. Puis dégager les sédiments accumulés sous les pierres. Les installations de bacs berlinois pourront, pour cette raison, être conçues avec des décors surélevés (plots naturels) permetttant l’action des détritivores limivores. Contrairement à l’utilisation de DSB ou à la méthode Jaubert, la méthode berlinoise permet d’aspirer le sable par clochage, selon le besoin, localement ou en profondeur et en plusieurs étapes afin de ne pas trop déséquilibrer la population bactérienne. Le sable cloché, concentré en bactéries pathogènes, ne doit pas retourner directement dans l’eau. Le sable infesté pourra être lavé plus intensément. L’opération, bien que fastidieuse, devra être répétée régulièrement durant l’invasion. On pourra selon la régression, siphonner uniquement les îlots d’algues.

7.7. Filtration

Durant la lutte, procéder à des nettoyages fréquents des filtres mécaniques.

7.8. Brassage

Le brassage doit être suffisant pour maintenir en suspension les sédiments qui pourront être évacués vers la cuve technique. Les flux larges qui traitent de grands volumes sont préférables. Nettoyer les pompes encrassées devenues moins efficaces. Repenser si besoin le brassage en fonction de la pousse des coraux de façon à atteindre toutes les parties du décor sans laisser de zones mortes. Les systèmes dynamiques, permettant de modifier l’intensité, la fréquence et l’orientation des flux de brassage tels que les contrôleurs, programmateurs, oscillateurs ou répartiteurs de flux automatiques s’avèrent ici bien utiles.

7.9. Révision des équipements

On en a repoussé un peu trop l’échéance, c’est le moment de nettoyer le système de brassage et de filtration, la cuve technique et plus particulièrement son compartiment de décantation.

7.10. Nourrissage

L’alimentation doit être juste suffisamment dosée. Dans cette période critique, privilégier les nourritures non polluantes. Entre nourriture en paillettes, granulés ou congelés, choisir celle qui sera consommée totalement par la faune et la microfaune. Le congelé semble globalement mieux assimilé. Limiter l’apport d’acides aminés, en effet, l’azote présent dans ces molécules est très facilement assimilable par les bactéries et de nature à développer leur population.

7.11. Population importante

La biomasse d’animaux pollueurs a pu augmenter au fil du temps. Si l’équipement (ou plus globalement le système de maintenance) devient inadapté, il est peut être bon de la revoir à la baisse en offrant un autre habitat plus approprié aux quelques poissons devenus imposants.

7.12. Repenser le système de maintenance

Nous pensons avoir mis en place un système suffisamment fiable pour répondre aux exigences de nos coraux, et pourtant les équipements vieillissent, leurs performances évoluent, les appareils de mesure se dérèglent, les régulateurs ne compensent pas les fortes fluctuations saisonnières… La lumière et les variations de température sont connues pour influer sur la prolifération des cyanobactéries, elles ne sont probablement pas les seules.

7.13. Écumage

C’est dans ces moments de lutte que l’on se félicite d’avoir choisi un écumeur correctement dimensionné et réglé. Encore faut-il conserver ses performances en nettoyant régulièrement le godet, la chambre d’assèchement puis les rotors, sans oublier l’aspiration et les tubes du circuit d’air qui se colmatent progressivement.

7.14. Changements d’eau

L’eau se charge de matières organiques pas forcément prises en charge par l’écumeur, surtout si la fréquence des renouvellements d’eau est faible. Le nettoyage du bac étant effectué, on pourra procéder à un bon changement d’eau avec un sel non enrichi en oligo-éléments.

7.15. Eau d’appoint

En l’absence de traitement de filtration adapté, l’eau d’appoint (eau de mer, eau de pluie, eau de puisage, eau de ville…) peut évoluer selon les conditions de prélèvement (marées, tempêtes, bacs de récupération…) , les lieux (estuaires, zones agricoles…), les saisons (été / hiver) et peut être chargée de matières organiques dissoutes.

7.16. Osmoseur

Au-delà des préconisations des constructeurs sur la durée des filtres et membranes, seuls les tests seront nos juges de paix. Au fait, quels sont les taux des PO4 et NO3 en sortie ?

7.17. Anti-phosphates

Durant la phase de nettoyage du bac, des phosphates seront inévitablement relargués dans l’eau, on pourra donc judicieusement utiliser un produit anti-phosphates. Le traitement pourra être maintenu durant 2 à 3 mois, le temps de la crise. L’excès de phosphates étant l’une des principales causes de l’apparition des cyanobactéries, on peut aussi traiter préventivement et régulièrement tous les mois selon un protocole (référence du matériau, durée, fréquence, usage passif, circulation forcée, lit fluidisé…) adapté à son installation. Le taux bien inférieur à 0.1 mg/l devra tendre vers zéro, il en restera toujours assez pour les algues supérieures et les zooxanthelles de nos coraux. Même si aucun de nos tests aquariophiles ne mesure la totalité des phosphates présents dans le bac, ce suivi reste instructif pour suivre l’efficacité des traitements… encore faut-il que le test soit suffisamment sensible et reproductible, le protocole de mesure fiable et rigoureusement respecté pour en tirer des enseignements. Autant dire que les tests colorimétriques ne sont dans le cas présent d’aucune utilité.

7.18. Ampoules et photopériode

Les cyanobactéries préféreraient les lumières faibles. La solution de couper l’éclairage plusieurs jours n’est pas satisfaisante, outre que cela indisposerait les coraux photosynthétiques, les cyanobactéries disparaîtraient pour revenir plus tard. La réduction de la photopériode peut contribuer à réduire la source d’énergie des cyanobactéries. A contrario, la source lumineuse aura peut-être vieilli, son spectre aura évolué, on pourra changer les ampoules pour des neuves en adaptant progressivement l’aquarium à la nouvelle ambiance, sans perdre de vue que le soleil plus ou moins direct peut avoir des effets saisonniers sur l’illumination du bac.

7.19. Ensemencement bactérien

Un réensemencement de souches variées de bactéries permettra, en rééquilibrant la faune bactérienne, de concurrencer les cyanobactéries indésirables.

7.20. Espace algual

La concurrence alimentaire suppose le développement des algues. C’est le moment d’implanter si besoin des souches d’algues supérieures en masse, dans un refuge dédié ou dans le bac, et pourquoi pas de favoriser la pousse des micro-algues, sur les vitres par exemple, avec l’iode et la nourriture juste nécessaires. Le magnésium au-delà de 1300 mg/l favorise la pousse des algues calcaires, coralline ou Halimeda qui contribueront à la compétition.

7.21. Traitements chimiques

Ultime recours lorsque l’invasion met en péril la population corallienne, on pourra tenter d’éliminer ces bactéries indésirables. Les traitements chimiques sont très controversés tant les risques de dérégler plus encore l’équilibre bactérien du bac sont importants. Même si le traitement réussit avec des antibiotiques à spectre étroit, le déséquilibre sera réel et quelques mois seront nécessaires pour retrouver une situation stable. Les souches auront peut être disparu, mais pas les causes d’apparition…

Acide salicylique : le traitement à l’acide salicylique sur 5 jours s’avère simple, efficace, durable, sans perte apparente d’invertébré.

Chloramphénicol : Des aquariophiles, suivant les préconisations de Peter Wilkens, ont pu obtenir des résultats satisfaisants sans effet néfaste pour les coraux selon le protocole suivant : Chloramphénicol pour injection, 750 mg pour 100 litres d’eau, suivi au bout de trois jours d’un traitement au charbon activé et d’une aspiration jour après jour des plaques de cyanobactéries qui blanchissent et d’un changement d’eau de 30%. Puis renouvellement du traitement 4 semaines plus tard. Cet antibiotique présentant un risque d’allergie grave en cas d’inhalation ou de piqûre, il ne peut être utilisé que par des personnes averties.

Permanganate de potassium : Contre les dinoflagellés et cyanobactéries, on préconise l’utilisation d’une solution à 1‰ de permanganate de potassium (1 gramme KMnO4 par litre d’eau osmosée) à raison de 5 x 5 ml par 100 L d’eau du bac, c’est à dire toutes les 3 heures. Le total quotidien 25 millitres de solution représente 0,25 mg KMnO4 / l / j. La duré du traitement de 4 à 5 jours peut se poursuivre si besoin. Son pouvoir oxydant sur les matières organiques est observable par l’encrassement rapide du filtre, sur le potentiel redox et la disparition des cyanobactéries. Il s’agit là d’une méthode curative, à ne pas renouveler souvent ni surdoser au risque de dégâts irréversibles. Arrêter lorsque le redox retrouve le niveau habituel du bac. Malheureusement elle ne résout en rien le problème de fond, les algues reviendront tôt ou tard si les vraies causes ne sont pas résolues.

Peroxyde d’hydrogène : 2.7 ml H202 à 3% (10 vol) par 100 litres durant 5 jours.

Antired d’Aquamedic semble puissant avec une efficacité toute relative à long terme, les coraux et poissons peuvent souffrir fortement de la toxicité des cyanobactéries se désintégrant en masse. D’autres produits du commerce ont été utilisés tels que Mycosidol de Colombo Cerfopor.

8. Efficacité du plan d’action

Le plan d’action arrive à son terme. Les plaques se font déjà moins grandes, les algues commencent à pâlir et s’étirer en filaments, signes que leur énergie devient insuffisante pour coloniser le substrat… La victoire est donc proche. On ne sort pas indemne de ce genre de long combat, mais certainement plus fort. En effet, après une telle expérience, les causes d’apparition et de développement étant mieux comprises, les cyanobactéries deviennent un formidable bio-indicateur visuel du fonctionnement du bac. N’oublions pas que les souches entrent en "dormance" pour mieux réapparaître le moment venu.

9. Mon expérience

Premier cas

Une première prolifération de cyanobactéries est apparue au début de l’année 2009, le sol a été très progressivement envahi d’un tapis rouge. Il aura fallu un mois pour me rendre à l’évidence : le phénomène n’était pas passager et allait en empirant. Les nombreuses recherches, qui me valent cette synthèse, ont pris plusieurs semaines durant lesquelles mes actions étaient assez dispersées, sans résultat probant. J’étais prêt à employer les dernières cartouches, chimiques. Puis un jour, au retour d’une semaine de vacances, quelle ne fut pas ma surprise de ne plus voir une seule trace de cyanobactéries ! A postériori, l’enchaînement des événements devenait un peu plus clair et je percevais mieux les raisons de mes tâtonnements et les effets de mes actions. Bon sang, mais c’est bien sûr, pourquoi n’avais-je pas été plus méthodique ?

J’avais pu identifier une série d’événements avant l’invasion : j’avais changé mes ampoules HQI puis plus tard les tubes T5, en ces fêtes de fin d’année j’avais reporté mon changement d’eau mensuel d’un mois, et comme je n’introduis des bactéries qu’après mes changements d’eau… Les détritivores ne se bousculaient plus vraiment, l’introduction d’un Ostracion meleagris m’avait aussi poussé à augmenter les distributions de nourriture. Bref, les tests donnant des valeurs étales, je ne pouvais incriminer la qualité de l’eau. Je pensais tenir dans cet inventaire les causes potentielles de mon malheur.

Les changements d’eau qui ont suivi, l’adjonction de bactéries, la mort de l’Ostracion et parallèlement la réduction de nourriture, le passage à mes anciennes ampoules, les tempêtes, les clochages du sable… rien n’y faisait. Quelques temps plus tard, pour tester l’idée lue ça et là que nos bacs étaient parfois sur-éclairés, je réduisais la photopériode de 20% puis en désespoir de cause j’arrêtais tout ajout et notamment les acides aminés. La quinzaine qui a suivi a sonné le glas des cyanobactéries.

Qu’en déduire ? Que mon inventaire initial avait été incomplet. Je n’avais pas évoqué le changement d’acides aminés que je distribuais régulièrement. La nouvelle marque utilisée était bien plus concentrée et j’en avais, sans m’en apercevoir, plus que doublé le volume. L’arrêt des ajouts et la réduction de la photopériode avait certainement réduit les sources d’énergie de mes cyanobactéries au point de les faire régresser. Le métabolisme des bactéries est rapide, leur disparition a donc été brutale. Depuis, j’ai repris une distribution ajustée des acides aminés, remis mes ampoules neuves tout en conservant une photopériode réduite. Elles ne sont pas réapparues un an plus tard, mais ma vigilance reste aiguë.

Dans votre propre lutte, cette synthèse vous sera j’espère utile, peut être avez-vous décelé des facteurs importants. Je serais heureux de compléter cet article avec vos suggestions.

Second cas

Le dernier cas en 2023 a été dramatique. L’invasion de cyanobactéries s’est poursuivie par des épisodes de dinoflagellés puis la mort de quelques brouteurs (poisson et invertébrés) et de coraux du fait des stress prolongés. C’est dire que les cyanobactéries ne sont pas à prendre à la légère. L’invasion est apparu après un redémarrage du bac avec pierres mortes et un taux très faible et prolongé de phosphates et nitrates. L’équilibre N et P a été très long à retrouver, même après ajouts de nitrate de calcium. Aujourd’hui, les cyanos ont disparu et es réapparition sont toujours liées à une baisse des nitrates proches de zéro, le taux de phospahates oscillant entre 0.03 et 0,08 mg/l.

 

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Tous mes remerciemenst à Olivier SOULAT pour son expertise et à Bruno MAGLIANO et Régis LAPORTE pour leurs photos.

 

 

Article publié sur Cap Récifal le 17 novembre 2010

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