Les tuniciers

Les tuniciers

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Ces animaux filtreurs, que l’on trouve dans toutes les mers du globe, trouvent l’origine de leur nom dans la peau (tunique) protégeant leur corps. Celle ci est plus ou moins épaisse, de structure gélatineuse, translucide, laissant apparaitre les organes, ou bien opaque et dure comme du cuir, et, singularité dans ce monde animal, elle est constituée en partie de cellulose, plus habituelle chez les végétaux.

Halocynthia papillosa, tunicier de Méditerranée.

Les tuniciers, naissant avec une colonne vertébrale, la corde ou chorde, ont été classés dans l’embranchement des Chordata qui comprend les vertébrés. Alors vertébrés ou invertébrés ? Ce sont de véritables invertébrés, en effet cette corde présente chez la larve disparaît un peu plus tard au stade adulte.

Le sous-embranchement des tuniciers qui comprend environ 1500 espèces se divise en 3 classes : deux formes libres appartenant au plancton, les Thaliacés et les Appendiculaires, puis une forme fixée, les Ascidiacés (ascidies), qui intéresse plus particulièrement les aquariophiles.

1.1. Formes planctoniques : Thaliacés et Appendiculaires

salpe
Chapelet de salpes à la dérive

Les Thaliacés sont représentés par 3 ordres : les Pyrosomes, les Dolioles et les Salpes. Transparents, les adultes mesurent selon les espèces de quelques millimètres à 10 cm, ils sont solitaires, en forme de tonnelets. Les animaux élémentaires (zoïdes) sont regroupés en colonies, formant des chapelets cylindriques dérivant dans le courant.

Les deux espèces présentent une organisation générale proche de celle des ascidies, avec un corps gélatineux.

Larvacé adulte grossissement.

Les Appendiculaires, solitaires et présents en quantité importante dans le plancton, n’excédent pas 5 mm. L’autre nom des appendiculaires, les Larvacés, tient au fait qu’à l’état adulte ils conservent leur structure larvaire, notamment leur corde dorsale qui permet d’améliorer la nage et de ramener la nourriture près de leur orifice buccal.

1.2. Forme sessile : Les ascidies

Tuniciers 1 m de long, prof. 2000 m.

Les ascidies de taille 1 cm à 15 cm sont toujours fixées sur des supports variés tels que fonds rocheux, pontons, algues ou enfouies dans le sable. On les trouve dans toutes les mers froides ou chaudes, depuis la surface jusqu’à 100 m… Mais l’exploration des océans nous révèle toujours des surprises.

Cette forme sesssile, que l’on rencontre dans nos aquariums, nous intéresse plus particulièrement.

 

2. LES ASCIDIES

2.1. Systématique

Famille : Chordata (Chordés).
Sous embranchement : Urochordata (Urocordés ou Tuniciers).
Classe : Ascidiacés (Ascidies).
Ordres : (1) Aplousobranchia; (2) Phlebobranchia; (3) Stolidobranchia.
Familles : (1) Polyclinidae; Didemnidae ; Clavelinidae ; Polycitoridae – (2) Cionidae ; Ascidiidae – (3) Styelidae; Pyuridae.
Espèces : plus de 1500.
Noms communs : Français : Tunicier, ascidie, violet – Anglais : Ascidian, Tunicate, Sea squirt.

 

2.2. Morphologie

Ascidie solitaire
Ascidie coloniale, le siphon cloacal est commun

Certaines espèces d’ascidies sont solitaires, en général de grande taille, avec l’apparence d’un sac ou tube. D’autres sont sociales et vivent regroupées dans une même zone, reliées les unes aux autres à leur base par un stolon. On trouve aussi des espèces coloniales (les synascidies), une dizaine d’individus (zoïdes) partagent alors la même tunique. Certaines ascidies coloniales sont de plus unies à leur base et partagent un siphon cloacal commun. Ces colonies prennent souvent des formes encroûtantes, très fragiles, de quelques millimètres d’épaisseur, parfois sur plusieurs mètres carrés, d’où se dressent les minuscules orifices inhalants. Les orifices exhalants débouchent sur l’extérieur par quelques grands orifices circulaires. Ces formes encroûtantes peuvent alors être facilement confondues avec des éponges, mais ces dernières, inertes, ne referment jamais leurs orifices.

Phallusia mamillata solitaire
Ascidies sociales réparties
Clavelines, ascidies sociales en bouquet.
Nephtheis sp. ascidie coloniale arborescente
Didemnum sp. ascidie coloniale encroûtante
Anatomie interne

2.3. Anatomie

Leur anatomie interne est rudimentaire mais bien plus évoluée que les éponges auxquelles on ne doit pas les assimiler. On distingue quelques organes essentiels :

2.3.1. La tunique : à l’extérieur une enveloppe protège l’animal ; plus ou moins épaisse et dure, elle peut contenir des spicules de calcite conférant une certaine rigidité. Elle est parfois chargée de sable, d’algues, ou des invertébrés comme des éponges, des hydraires, des mollusques ou d’autres ascidies.

2.3.2. Le manteau : Sous la tunique, le manteau sécrète des produits chimiques permettant d’assurer une protection contre les bactéries, mais aussi une forme de cellulose, la tunicine, avec laquelle il construit la tunique. Ainsi, l’ascidie peut croître sans mue ; ces substances chimiques sont produites à l’interface manteau-tunique pour absorber la peau cellulosique et la régénérer ensuite.

Rétractation des siphons.

2.3.3. Le pharynx : c’est un petit sac s’ouvrant sur le siphon buccal (ou oral) inhalant permettant à l’eau de pénétrer. Il contient une multitude de cellules ciliées qui assurent la circulation de l’eau, et il est percé de quantité de micro-orifices ou sont captées les matières nutritives et l’oxygène de l’eau. Le pharynx exerce donc une double fonction : nutritive et respiratoire. Entre le pharynx et la tunique, la cavité péri-branchiale débouche sur le siphon cloacal (ou atrial), exhalant, d’ou l’eau s’évacue. Le débit dans les deux siphons des monoascidies est bien sûr le même mais le siphon atrial plus petit peut expulser l’eau au delà de la zone de l’orifice buccal.

2.3.4. Le système nerveux : réduit à un simple ganglion, ce centre nerveux permet à l’ascidie de réagir aux sollicitations externes (lumière, contact…), d’orienter son orifice buccal en fonction du courant, de le fermer face aux agressions et de se rétracter en expulsant son eau. Ces comportements permettent de différencier une ascidie encroûtante d’une éponge d’aspect similaire mais totalement amorphe. Les ascidies sont limitées dans leurs mouvements, mais certaines espèces coloniales sont capables de s’extraire de leur tunique pour se mouvoir et se repositionner un peu plus loin. Ces espèces contiennent des cyanobactéries d’où elles puisent l’énergie nécessaire à leur déplacement.

2.4. Respiration et circulation sanguine

Fentes ciliées, le cœur à droite X6.3

L’oxygène contenu dans l’eau est capté au niveau des fentes branchiales du pharynx. Les échanges sanguins se produisent à ce niveau au travers de micro-cavités où circule le sang. De la même manière, un cœur assure la circulation du sang, sans système veineux, mais au travers de petites cavités (sinus) réparties dans les tissus. Contrairement au cœur humain, celui de l’ascidie fonctionne de façon alternative. Il aspire le sang durant une centaine de cycles puis inverse le mouvement pour chasser le sang dans la même durée vers les sinus sanguins. Avec l’oxygène, le sang capte de nombreux métaux dont quelques-uns, habituellement toxiques pour certains animaux, sont assimilés puis sécrétés sous forme acide par le manteau au travers de la tunique pour assurer une fonction bactéricide.

2.5. Nutrition

Tentacules buccaux, Polycarpa aurata.

Les ascidies sont des filtreurs, elles se nourrissent donc par filtration de particules organiques en suspension dans l’eau et de plancton (bactérioplancton et phytoplancton). Elles sont capables d’assimiler les nutriments du milieu et contribuent ainsi à l’épuration de l’eau. Une ascidie de quelques centimètres de haut serait capable de filtrer de 30 et 150 litres d’eau par jour pour les grosses Phallusia soit 60l/j pour 10 g et éliminer 95% des bactéries.

Les particules pénètrent par le siphon buccal (inhalant) supérieur. A l’entrée du pharynx, des tentacules buccaux reliés au ganglion nerveux empêchent les particules trop grosses de pénétrer dans le pharynx, ou de lkes éjecter en stimulant la fermeture des siphons, ce qui vaut le nom anglais donné aux ascidies : "sea squirt" de "squirt", gicler. L’eau absorbée est filtrée par le pharynx au niveau de ses micro-cavités tapissées de muqueuse qui retiennent les particules alimentaires. Le mucus chargé de particules passe ensuite dans la cavité péri-branchiale puis dans un estomac et le tube digestif, avant de ressortir dans le flux d’eau par le siphon cloacal (exhalant) latéral.

2.6. Reproduction

2.6.1. Reproduction sexuée

Les tuniciers sont en général hermaphrodites, chaque individu possède à la fois des gonades mâles et femelles séparées. Les ascidies peuvent s’autoféconder, mais chez les ascidies sessiles, les ovules et les spermatozoïdes n’arrivent en général pas à maturité au même moment, et la fécondation a lieu dans l’eau, assurant le brassage de l’espèce. Chez les ascidies coloniales, par contre, il y a fécondation dans le cloaque commun, la larve formée est ensuite évacuée. La larve de 2 à 3 mm ressemble à un têtard avec un corps globuleux et possède dans la partie postérieure du corps une queue facilitant la nage. Cette corde (ou chorde) dorsale à l’origine du nom des urocordés ( du grec ouros, « queue » et corde), disparaît chez l’adulte. Après une brève vie pélagique, la larve va se fixer avec ses papilles adhésives sur le fond, et de préférence dans un endroit faiblement éclairé. Dès lors s’ensuit la métamorphose, durant deux semaines, la queue disparait et s’opère une réorganisation complète des organes internes



L’oeuf puis la larve du même tunicier macro x15

 



Ascidie à l’état larvaire avec une chorde dorsale en vert, puis adulte, la chorde disparait.

 

Bourgeonnement de Polycarpa scuba à la base des pieds mère.

2.6.2. Reproduction asexuée

La reproduction par bourgeonnement est également fréquente chez les ascidies sociales. En effet ces espèces vivent l’espace d’une saison, ou bien lorsque les conditions sont défavorables, disparaissent en ne laissant subsister que le stolon. Lorsque les conditions sont de nouveau réunies, des bourgeons renaissent du stolon pour former une nouvelle colonie. On a donc interêt à observer dans un refuge, à l’abri des brouteurs, les pierres nouvellement importées, à la recherche de rejetons d’ascidies.

2.7. Comportement

Certaines ascidies possèdent une tunique lisse exempte de colonisateur, sur d’autres, des animalcules et des plantes contribuent au camouflage de l’animal. Dans tous les cas, elles sont capables de sécréter des substances chimiques de nature à repousser les parasites, et si besoin, de se dégager de cette gangue trop rigide pour continuer leur croissance.

L’ascidie procède à son nettoyage.

En cas de prolifération elles peuvent coloniser les autres invertébrés (coraux, éponges…) e même parfois entrer en concurrence avec les autres filtreurs tels que les bivalves, comme on a pu le constater dans des parcs à huîtres.

2.8. Maintenance

2.8.2. Manipulation

Les animaux arrivent fréquemment accrochés sur les pierres vivantes importées, et parfois sous la forme peu visible d’un stolon. Il est très difficile de les séparer de leur substrat sans dommage irréversible. A l’achat les spécimens devront être fixés à la roche, au pire une goutte de colle cyanoacrylate pourra aider, les ascidies amélioreront naturellement leur adhésion plus tard . Les manipulations doivent être délicates, un petit cœur bat à l’intérieur, pour autant, certaines espèces supportent une exposition à l’air. Lors de l’acquisition l’animal doit être sain, sans blessure, faute de quoi l’acclimatation est vouée à l’échec. Les animaux issus de reproduction ont plus de chance de reprise à l’acclimatation.

2.8.1. Placement en aquarium

Les ascidies peuvent trouver, leur place dans un aquarium d’eau de mer sous certaines conditions qui restent malheureusement à l’opposé de celles des bacs fortement brassés et éclairés qui reproduisent le sommet du récif. Le bac idéal est le refuge, et plus encore un bac dédié aux filtreurs, au sein d’un système pas trop intensément écumé pour ne pas entrer en concurrence ave les ascidies qui assurent elles même une partie de la filtration, mais suffisamment, si besoin pour maintenir une eau de qualité. Ce refuge positionné en amont d’une installation plus importante pourra être plus facilement chargé régulièrement en nourriture tout en conservant globalement la qualité d’eau nécessaire. L’éclairage devrait lui aussi être limité pour freiner la prolifération des algues. Les conditions réunies, on pourra maintenir avec d’autres animaux exigeant les mêmes besoins, comme les vers tubicoles, les éponges ou les autres animaux non symbiotiques, des espèces d’ascidies impossibles dans les aquariums communautaires. La colonisation de formes encroûtantes pourra alors être extrêmement rapide de l’ordre du centimètre par semaine.

La plupart des ascidies sont cryptiques et peuvent être placées dans le noir ou dans une zone faiblement éclairée. L’observation de l’aspect de la tunique et des éventuels colonisateurs donne une indication des conditions environnantes. Il faut placer chaque ascidie dans un courant laminaire continu, le siphon inhalant en amont, elle sera toutefois capable de rectifier un peu sa position pour orienter convenablement ses siphons.

Un nudibranche et son chapelet d’œufs.

2.8.4. Nourriture

Planctophage, il faut nourrir de façon très régulière, deux à trois fois par jour ou plus souvent, toute pompe arrêtée durant cette période, avec du phytoplancton ou des mélanges, impérativement très finement broyés, de nourritures fraîches ou congelées, solides ou liquides (plancton, naupliis de crevettes, vers hachés, jus de bivalves…) ou comme D. Knopp avec de la levure de boulanger dissoute ou des préparations pour les élevages d’artémias. Par ailleurs les apports d’iode doivent être assurés, directement ou indirectement via la nourriture, de façon à maintenir la formation du mucus in dispensable pour capter la nourriture. C’est apport relativement important de nourriture reste la difficulté majeure, souvent à l’origine de la dégradation de la qualité de l’eau.

2.8.3. Maintenance

Les ascidies peuvent supporter des conditions variables mais non brutales de température. Une fois acclimatés, ce sont des animaux relativement résistants, sous réserve que l’eau soit de bonne qualité. La longévité est variable selon les espèces, de un an à plusieurs années, lorsque les colonies se reproduisent. Les plus gros spécimens semblent plus difficiles à maintenir du fait de leurs besoins importants en nourriture. Même si les ascidies peuvent s’autoféconder, on recommande de maintenir plusieurs spécimens de façon à favoriser la multiplications sexuée.

Il faut éviter les autres invertébrés colonisateurs (éponges, zoanthus…) ainsi que les animaux dérangeants capables de bousculer l’ascidie (bernard-l’ermite, crabes, oursins…), notamment au stade juvénile.
On connait quelques prédateurs potentiels : nudibranches, étoiles de mer, gastéropodes capables de les dévorer en perçant la tunique avec leur trompe. On a aussi vu des crabes se nourrir de leurs tuniques. Des poissons peuvent également en faire leur menu : Scaridae, Balistidae, Pomacanthidae, Zanclidae.

2.9. Quel intérêt dans nos bacs ?

Ces animaux peuvent paraître primaires, mais il ne faut pas oublier leur relative complexité anatomique. Leur véritable intérêt est probablement d’apporter encore à la diversité du microcosme que nous maintenons, avec un animal incontestablement utile. Les ascidies sont là, sur vos pierres vivantes, encore pleines de vie, minuscules, recroquevillées ou prêtes à bourgeonner dans une anfractuosité, à vous de réunir les conditions pour leur épanouissement. Et si de plus le spécimen devait développer des couleurs…

Association de 4 ascidies
Didemnum sp.

Polycarpa aurata

Polycarpa scuba

Microcosmus comestibilus ou "Violet"

Atriolum robustum

Clavelina moluccensis

Botryllus sp.
Clavelina lepadiformis
Clavelina caerulea ou plutôt Ropalaea crassa

 

Références

Biologie des tuniciers

Images et videos macros

Identification

 

Tous mes remerciements aux auteurs des photos et plus particulièrement à Jean-Marie CAVANIHAC.

Denis TOURNASSAT – Glaucos

 

Article publié par Cap Récifal le 11 décembre 2010 avec l’aimable autorisation de l’auteur.

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